Dans le monde prestigieux du champagne, l'assemblage est un art délicat, autant qu'essentiel. Notre Chef de Caves, Etienne Eteneau, nous offre un aperçu fascinant de ce processus complexe au sein de la Maison Abelé 1757. À travers ses explications passionnantes, découvrez comment il élabore saison après saison des cuvées qui racontent une histoire unique. Depuis la sélection rigoureuse des vins clairs jusqu'à l'élaboration de chaque cuvée, plongez dans les subtilités de l'assemblage qui donnent vie au champagne Abelé 1757, reflétant ainsi la signature stylistique de notre maison historique.
Au commencement des champagnes Abelé 1757, l'art de l'assemblage.
2 Juillet 2024En quoi consiste l’étape de l’assemblage pour le Champagne Abelé 1757 ? Comment votre philosophie reflète-t-elle le style unique de la Maison ?
Au début du Printemps, nous débutons par une première phase d’identification et de caractérisation des vins. Lors de cette dégustation, il est primordial de garder en tête deux éléments-clés : le style des cuvées
à élaborer et la capacité des vins à vieillir pendant trois, quatre, cinq, voire dix ans. Il est essentiel pour une Maison de Champagne qui a plus de 250 ans d’histoire, de faire perdurer cette tradition du grand assemblage tout en apportant une touche de modernité.
Après la vendange, l’assemblage fait partie des moments-clés dans l’élaboration d’une cuvée. Au sein de la Maison Abelé 1757, la tradition repose sur l’association entre les plus beaux terroirs de Champagne et les cépages nobles de l’Appellation. Ce mariage nous offre une formidable palette de vins clairs à l’image des Chardonnay de la Côte des Blancs, du Vitryat et du Sézannais, ou encore des jolis Pinot Noir de Verzy,
de Verzenay et des Riceys… Année après année, nous conservons précieusement une fraction de ces vins tranquilles pour venir compléter notre bibliothèque de vin de réserve.
Le champagne est un vin effervescent. Pourtant, vous parlez des vins clairs. Pouvez-vous nous expliquer la différence ?
Une fois vendangés, les raisins récoltés vont être vinifiés en cuverie. À l’issue des fermentations, alcoolique puis malolactique, ces jus se transforment en « vins clairs ». À ce stade, il s’agit encore de vins tranquilles, c’est-à-dire non effervescents.
Utilisés seuls, ils peuvent servir à élaborer les cuvées millésimées telles que Le Sourire de Reims Brut ou Le Sourire de Reims Rosé. Associés aux vins de réserve des années précédentes, ils serviront aux cuvées non millésimées, telles que le Brut, le Rosé ou le Blanc de Blancs.
Il faut attendre la seconde fermentation alcoolique et la prise de mousse pour que la magie opère. En Champagne, cette étape s’opère en bouteille. Au cours de cette fermentation, les levures vont transformer les sucres apportés par la liqueur de tirage en alcool et en gaz carbonique. Enfermé dans la bouteille, ce gaz ainsi produit fait monter la pression et fait passer le vin tranquille au stade de vin effervescent.
Comment décidez-vous des assemblages selon la cuvée de champagne ?
Est-ce la même règle chaque année ?
Il n’existe aucune recette stricto sensu dans l’élaboration des assemblages hormis le pourcentage de chaque cépage utilisé. La tradition persiste pour que le style soit respecté. Pour la cuvée Le Sourire de Reims Brut millésimé, l’assemblage est 60 % Chardonnay, 40 % Pinot Noir. Pour le Brut sans année, le Chardonnay est au cœur de l’assemblage : 40 % Chardonnay, 35 % Pinot Noir et 25 % Meunier. Cette constance est essentielle pour préserver l'identité des cuvées. Pour développer leur âme et respecter leur
style, un travail d’une extrême précision de sélection des cuves et des terroirs est réalisé.
Malgré ces marqueurs clés dans l’assemblage du champagne, il intègre une part d'incertitude : le climat de l’année, le développement de la vigne, la maturité des raisins… Tous ces paramètres vont avoir un impact significatif sur les nuances de nos vins. Par exemple, le Blanc de Blancs doit être l’association entre une belle minéralité et des arômes floraux tout en gourmandise. Pour obtenir ce profil aromatique si particulier, je dois sélectionner les vins clairs et les vins de réserve adaptés. En ce qui concerne la minéralité, je vais pouvoir compter notamment sur les Chardonnays Grand Cru de Cramant ou du Mesnil-sur-Oger. Pour le fruit et la gourmandise, je vais plutôt sélectionner les terroirs du Sézannais. Enfin, le Vitryat apportera les notes florales et délicates si typiques du Blanc de Blancs. Mais il se peut que les conditions de la vendange perturbent cet équilibre, je dois donc me projeter pour percevoir les nuances et subtilités propres à chacune de nos cuvées.
Avez-vous une part de liberté dans les assemblages de la Maison ou devez-vous suivre un cahier des charges très strict et immuable ?
Avant de vous répondre, il est important de préciser la différence entre cuvées non millésimées et millésimées. Les premières sont de véritables métronomes. Un exercice de style, de répétition et d’amélioration continue. La qualité et la précision des assemblages doivent refléter le style de la Maison.
Année après année, je dois garantir et respecter l’identité de chacune de ces cuvées que sont le Brut, le Rosé et le Blanc de Blancs.
Pour les cuvées millésimées, l’exercice est complètement différent. À commencer par le choix de revendiquer le millésime. Ce n’est qu’à l’étape de l'assemblage d'un champagne que je peux évaluer le potentiel aromatique des vins clairs. Sont-ils portés par la fraîcheur, le fruit ou la complexité ? Sont-ils assez complexes pour vieillir dans nos caves pendant 10 ans minimum ?
Pour la Maison Abelé 1757, il est impossible de transiger avec la qualité. Nous utilisons uniquement les meilleures années, les meilleures parcelles, les meilleurs crus, les meilleurs cépages. Au-delà du millésime, je cherche à exprimer la singularité, l’excellence d’une année. C’est l’unique part de liberté dont je dispose dans cet exercice de style. La possibilité de revendiquer ou non le millésime.
Quels sont les principaux défis que vous rencontrez lors de l'assemblage des champagnes ? Comment les surmontez-vous ?
Le principal défi dans l’assemblage est, et restera, le respect du style de la Maison de Champagne Abelé 1757. C’est à la fois une source de complexité et d’inspiration qui me permet de puiser dans le travail de mes prédécesseurs et dans la formidable vinothèque de la Maison Abelé 1757.
Ensuite, je dirais la nécessité de s’adapter aux évolutions climatiques et leurs impacts sur l’expression des vins. Ces dernières années, les équilibres de maturité aromatique évoluent fortement avec des quantités de sucre plus importantes, des fruits plus mûrs, aux arômes exotiques, et des niveaux d’acidité qui diminuent naturellement. Tous ces changements se répercutent sur le profil des vins clairs et donc des assemblages.
Et c’est cette habilité dont je dois faire preuve lors de la réalisation des assemblages. Réussir à intégrer de nouveaux profils de maturité liés aux changements climatiques afin de perpétuer le style du Champagne
Abelé 1757. Pour anticiper cette contrainte, j’identifie en amont les terroirs et parcelles qui offriront un joli potentiel de fraîcheur une fois vinifiés. Tous ces changements m’imposent une remise en question permanente et une veille constante sur la qualité afin de perpétuer le style de la Maison.
En quoi le terroir influence-t-il les assemblages ? Avez-vous un exemple spécifique de champagne où le terroir a joué un rôle clé dans un assemblage ?
Bien sûr, son influence est indéniable. C'est même la combinaison « cépage-terroir » qui est à la base de l'assemblage. Je pourrais citer toutes les cuvées de la gamme pour expliquer l'importance du terroir dans
l'élaboration d’un champagne et pour la définition du style d'un vin. Mais si je devais prendre un exemple, ce serait celui du terroir des Riceys au Sud de la Champagne, dans la région de l’Aube.
Un terroir très particulier avec une spécialité dans la production de Pinot Noir. C'est sur ces coteaux exposés Sud avec des sols calcaires marneux, que le Pinot noir atteint des niveaux de maturité exceptionnels. Je l’utilise dans l'élaboration des rosés de macération, tels que Le Sourire de Reims Rosé ou Abelé 1757 Brut Rosé.
Réussir à mémoriser autant de dégustations relève de l’exploit. Comment faites-vous pour tout consigner ?
Chaque Chef de Caves, chaque œnologue a sa technique, sa méthode... Certains vont faire appel à leur mémoire olfactive et être dans la mémorisation pure. Une approche qui permet de conserver une bibliothèque aromatique extraordinaire. Pour d’autres, la prise de notes est naturelle avec la création de leurs archives de dégustation.
Personnellement, j'ai plutôt une mémoire de sensations. Lorsque je déguste un vin, des sensations quasiment physiques apparaissent. Le caractère soyeux, acide, crayeux, la minéralité, la salinité… Toutes ces sensations s’agrègent et sont mémorisées lors de la dégustation.
Ressenti à part, je dirai qu’il est impossible d’archiver le style d’une cuvée sur papier ou de manière informatique. Quelle est la manière de se souvenir du style d'une cuvée, si ce n'est de la déguster encore une fois ? Comment retranscrire dans un texte la fraîcheur, la minéralité, le floral… cela reste très personnel d’un individu à un autre. Au moment des assemblages, nous devons être au plus proche de cette « sensation » qui caractérise le vin et que j’ai mémorisée. Pour le Blanc de Blancs, la minéralité, la longueur en bouche, l’équilibre aromatique… Tous ces marqueurs doivent être présents pour que je puisse me projeter dans le temps et imaginer la cuvée dans 4, 5, voire 10 ans. Et cette capacité à se projeter ne s’écrit pas dans les livres.
Vous incarnez le présent et le futur de la Maison. Comment sauvegardez-vous ce travail pour transmettre un jour à votre successeur ?
En qualité de Chef de Caves pour la maison Abelé 1757, je travaille le temps présent avec l’élaboration des champagnes que nous commercialisons, mais également le futur avec les cuvées millésimées que sont Le Sourire de Reims Brut et Le Sourire de Reims Rosé. Ces grands vins, qui vieillissent plus de 10 années en caves, viendront nourrir la vinothèque Abelé 1757, patrimoine inestimable légué par Henri Abelé et mes prédécesseurs, avec des champagnes qui remontent jusqu’aux années 20.
La notion de transmission dans les Maisons de Champagne séculaire est fondamentale et extrêmement importante dans la construction et la consolidation du style. Mon but est de léguer à mon tour aux futurs Chefs de Caves, un patrimoine de millésimes. Des cuvées qui seront dégustées dans 40, 50, voire 60 ans et qui, je l’espère, seront très appréciées.